Esthétique de l’inhumanité – Jake et Dinos Chapman : Fucking Hell

Neuf vitrines disposées en swastika selon les exigences de la scénographie, accueillant près de 30 000 figurines qui évoluent dans différents décors, voici Fucking Hell (2008), un minutieux travail réalisé par le duo de frères Jake et Dinos Chapman. Réduites à la taille de soldats de plomb, les personnages constituent une parfaite esthétique de l’horreur humaine dans sa plus brute réalité.

En effet, ce sont des scènes d’une violence extrême qui prennent place sous les vitrines. Des scènes évoquant les tableaux de Jérôme Bosch (v.1450-1516), les gravures de Goya (1746-1828) avec Les Désastres de la guerre et les Caprices, ou encore les théâtres en cire anatomique du sculpteur Gaetano Zumbo (1656-1701) et l’Holocauste.

Les personnages en uniforme nazi se laissent aller à des vices les plus effroyables, allant du démembrement, à la pendaison et autres scènes atroces, suscitant parfois le ridicule. Enfin, quelques individus célèbres sont cachés : Hitler en train de peindre, un Charlie du jeu “Où est Charlie”, un Ronald Macdonald… L’humour des frères Chapman est grinçant, un miroir de notre civilisation humaine en désuétude.

Bien que le duo britannique se caractérise par un traitement relativement scabreux de la représentation du corps, en flirtant avec le gore, leur démarche est intéressante par différents aspects, notamment l’espace et l’échelle des différentes œuvres qu’ils conçoivent. Ainsi, dans une de leurs expositions, ce sont des personnages à taille humaine en tenue du Ku Klux Klan qui observaient les vitrines, comme de simples visiteurs.

Un exemple d’exposition avec un personnage à taille humaine
Jake et Dinos Chapman, When the world ends, there’ll be no more air. That’s why it’s important to pollute the air now. Before it’s too late. After the end of the world, also, all the technological advances which have been made in this century, which could a this very moment allow a leisure society for all but a few technicians, and a few women with wombs, – so that there will, I mean there could, be no more social class – after the end of this world when humans are no more, the machines for human paradise will run on their own. Just as McDonald’s now runs. (Free Willy), 2012

Les représentations de l’extrême dans Fucking Hell viennent donc interroger non seulement nos propres capacités à faire le mal mais aussi à le regarder, comme un echo à du voyeurisme tel que le conçoit Georges Bataille, que les frères affectionnent. Ce sont ces thèmes, inhumanité et voyeurisme, que je m’efforcerai d’aborder et de développer dans cette nouvelle série d’articles, intitulé “Esthétique de l’inhumanité”.

Site des frères Chapman : https://jakeanddinoschapman.com/works/hell/


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