Rappelle moi le génocide Cambodge : les arts contre le déni


Rappelle moi le génocide se concentre cette année sur le génocide perpétré par les Khmers Rouges au Cambodge, entre 1975 et 1979. Fidèle à l’esprit initiale de cette série de lives commencée en 2021, cet article est une synthèse écrite du live du dimanche 23 juillet.

Cette partie se focalise sur la transmission de ces crimes par les arts visuels, dans un territoire où la quasi totalité du patrimoine artistique a été interdit sous le régime des Khmers rouges (1975-1979). Voici un bref portrait de 3 artistes majeurs ayant contribué à cette mémoire douloureuse et pourtant nécessaire.


Car la perte de mémoire est une atteinte à l’Histoire et contribue à un déficit de démocratie.

rithy panh

Vann Nath

Vann Nath est un peintre et un des rares survivants de Tuol Sleng (S21). Douch le maintient en vie afin qu’il puisse réaliser des portraits de Pol Pot, le chef du régime khmer ainsi que de la peinture de propagande. Ce n’est qu’après sa libération,qu’il peindra les scènes qui le hante : actes de torture, conditions de survie des prisonniers. Il a peut être été contraint à peindre ce type de scènes sous le regard de Douch.

Sa touche plastique se caractérise par un rendu lisse, presque glacé : les couleurs sont rarement chaudes comme elles le deviendront plus tard lors de sa reconstruction post-traumatique. Vann Nath est l’un des maîtres ayant pu par ailleurs contribué à la reconstruction artistique post-guerre et post-génocide au Cambodge.

Né en 1946, il meurt en 2011 : il a pu témoigner lors du procès de Douch en 2007 par les chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens pour juger les principaux responsables encore en vie.

Water Torture, Vann Nath, acrylique sur toile, vers 1980
Nail-pulling Torture, Vann Nath, acrylique sur toile, vers 1980

La transmission dans le cas d’un génocide peut également se manifester par l’image animée et le lien troublant, entre agresseur et victime, que l’on retrouve dans d’autres situations. C’est un des fils que démêle Rithy Panh, homme de cinéma.

Rithy Panh

Réalisateur, producteur, scénariste, acteur, écrivain franco-cambodgien, Rithy Panh a 11 ans quand les Khmers rouges prennent le pouvoir. Il perd ses parents ainsi qu’une partie de sa famille et parvient à rejoindre la Thaïlande dans le camp de Mairut en 1979. Rescapé des camps de travail du Cambodge, il arrive en France en 1980.

Son travail est axé autour du travail de mémoire et des survivants du régime tout bord confondu dans un premier temps. Il est fasciné par la mémoire du corps. Son oeuvre cinématographique se construit autour d’une certaine poésie, emplie de gestes et de silence, ou encore de figurines qu’il façonne et met en scène (L’Image Manquante, Everything will be OK).

© Rithy Panh – Cdp

Rithy Panh fait rencontrer Vann Nath à d’anciens bourreaux, dans la poursuite du travail d’Hannah Arendt et Eichmann à Jérusalem, avec la banalité du mal. Rithy Panh plaide pour l’individu et la responsabilité de chacun, tout en militant pour une banalité du bien : tendre la main plutôt de la rejeter.

En raison de l’élimination quasi totale des productions culturelles cambodgiennes par les khmers rouges, Rithy Panh et Leu Panakar, ancien directeur du centre du cinéma cambodgien, créent le centre Bophana, un lieu destiné à la restauration du patrimoine audiovisuel cambodgien et à la formation.

  • Bophana était une jeune femme cambodgienne emprisonnée à S21. Elle écrivait des lettres d’amour à son mari : elle sera torturée des mois durant avant d’être exécutée en 1977. Son histoire est relatée à Tuol Sleng ainsi que sa photographie. Rithy Panh lui a consacré un documentaire, Bophana, une tragédie cambodgienne.

Séra

Phouséra Ing dit Séra est un artiste plasticien d’origine franco-cambodgienne. Auteur de bande dessinée, il est également illustrateur. Né en 1961 d’un père cambodgien et d’une mère française, son père est exécuté par les Khmers rouges malgré leur repli dans l’ambassade de France avec ses parents, son frère et sa soeur. Ils sont expulsés vers la Thaïlande et arrivent en France en mai 1975. Il fait ses études en France.

Séra réalise différentes bandes dessinées sur le Cambodge, des récits personnels liés à sa famille tout comme sur les origines des tragédies cambodgiennes, comprenant guerre et génocide. Il a également contribué à la réalisation d’un mémorial aux victimes du régime khmer qui sera finalement placé dans l’enceinte du musée du génocide en 2018, et non pas dans une place publique comme il le souhaitait.

Chacun à sa manière, par les mots ou les images, ces artistes viennent raconter ce que les morts ne peuvent plus. Les aléas des différents mémoriaux pour ce type de crimes, reste révélateur du poids de ces crimes, génocidaires ou non, dans l’espace public.

Un poids sourd dont la justice n’a pas apposé de point final.