Herero et Nama : Rappelle moi le génocide – Des prémices à 1904


Cette année pour Rappelle moi le génocide, j’ai décidé de me focaliser sur l’histoire du génocide des Herero et Nama, réalisé dans le Sud-Ouest africain allemand, en actuelle Namibie, entre 1904 et 1908. Il fait partie des génocides et faits génocidaires que je souhaitais aborder dans ma thèse. Dans cet article, qui est en réalité une synthèse écrite du live du samedi 9 juillet, je vous expose les prémices de ce qui va être considéré comme le premier génocide du XXe siècle.


Localisation géographique

Ce génocide fait partie de ceux qui sont relativement méconnus. Reconnu officiellement en mai 2021 par les autorités allemandes, ces dernières décident alors d’apporter un soutien financier de 1, 1 milliard d’euros à la Namibie pour la reconstruction et le développement, sur une période de trente ans, ainsi que la restitution des crânes et ossements Herero (une partie a été restitué en 2018) qui étaient en Allemagne depuis le génocide. En 2004, le gouvernement allemand avait reconnu sa responsabilité dans le génocide, sans employer le terme de génocide.

Le génocide des Herero et Nama se base sur une conquête du territoire, ce qui n’est pas le cas de tous les génocides, en « représailles » de différentes tensions, de tentatives de révoltes, entre les peuples vivants déjà dans le pays et l’arrivée de différents missionnaires ainsi que de colons de pays étrangers divers, notamment l’Allemagne.


Entre 1904 et 1908, environ 65 000 Herero auront perdu la vie ainsi que plus de 10 000 Nama, soit 80% et 50% de leur population respective.

Dans ce génocide, on remarque toutefois au moins quatre marqueurs types bien que la Convention de l’ONU dédiée ne soit pas rétroactive, permettant toutefois de le considérer comme un génocide et non pas comme des massacres stricto sensu :

  • ordre d’extermination
  • massacres, déplacements massifs de population (ici, dans le Désert du Kalahari) en vue de la destruction de cette dernière
  • mise en place de camps de concentration (Shark Island)
  • expérimentations médicales

Têtes de prisonniers détenus à Shark Island, dédiés à l’expérimentation médicale

Bref historique des différentes mouvances de population et communautés en Namibie avant 1904 :

  • 1486 : des portugais arrivent dans le pays, mais se fixent plus au Nord, dans le territoire qui deviendra l’Angola
  • 1680 : venue de néerlandais sur la côte, vont s’implanter au Sud et dans les régions du Cap, qui constituera la future Afrique du Sud
  • Entre 1793 et 1803 : les néerlandais restés sur place sont chassés par les britanniques : les Afrikaners (population blanche descendante des colons néerlandais, née en Afrique du Sud et parlant l’afrikaans) restent sur le territoire
  • 1820-40 : arrivée de missionnaires rhénans, qui établissent des postes. Les différents peuples implantés sur le territoire sont en conflits relativement constants quant à la gestion de l’espace dans cette région aride et pour l’entretien du bétail, garantir la survie des ethnies. Les missionnaires demandent alternativement la protection auprès des Allemands ou des Britanniques
  • En parallèle des différents peuples locaux qui vivent dans cette région, avant l’arrivée de toutes ces communautés : les Herero, les Nama, les Basters (métis descendant d’Afrikaners, c’est-à-dire de colons hollandais, et de femmes koïsan), les Dama, les Khoïsan et les Ovambo.

Sur ce territoire limité en ressources, différentes pressions vont alors s’exercer, soit entre les peuples eux-mêmes, soit en alliance face aux communautés extérieures qui cherchent à s’implanter.

En 1894, Hugo von François, frère de Curt von François, publie Nama und Damara. Deutsch-Südwestafrika, un reportage photographique sur les autochtones de la colonie ouest-africaine : ici un Nama et un Damara.

Vers 1840, quand les missionnaires rhénans arrivent, la majeure partie du territoire est passée sous le contrôle du capitaine oorlam Jonker Afrikaner et ses vassaux Herero, Kahitjene et Tjamuaha. Un oorlam désigne un métis issu de colon néerlandais et d’une femme nama, vivant dans la colonie du Cap avant de venir s’installer dans le Sud-ouest africain, autre nom de la région actuelle de la Namibie. Jonker Afrikaner est le chef de la tribu des oorlam, né dans la colonie du Cap.

Jan Jonker Afrikaner, 1820-1889

Jan Jonker Afrikaner va former des alliances vers 1840-42 et demande à des missionnaires britanniques de venir remplacer les missionnaires rhénans, qui, selon lui, se mêlent trop de la politique intérieure.

Or, d’autres tensions vont se créer entre Jonker, de la communauté oorlam et les Herero qui lui reprochent de vouloir asseoir son autorité. Rapidement, la domination des oorlam menée par Jonker fait pression sur les autres par des razzias régulières et alimente le commerce des européens, notamment celui des armes à feu.

En 1861 Tjamuaha meurt et peu à peu la puissance des Oorlam s’affaiblit : le fils de Tjamuaha, Kamaharero, s’impose en tant que chef herero indépendant.

Vers 1880-81, les diverses communautés ont acquis d’immenses troupeaux de bétail et ont besoin de pâturage. Des disputes incessantes deviennent un conflit prolongé avec Hendrik Witbooi, chef du peuple nama qui a su rassembler les Nama et Oorlam dans le Sud. A cela s’ajoute l’arrivée de colons britanniques armés, en provenance du Cap (colonie néerlandaise puis britannique), ce qui fait que les missionnaires allemands vont davantage accorder des comptoirs marchands allemands pour contrer l’expansion britannique. Le territoire devient un protectorat allemand le 7 août 1884.

Hendrik Witbooi (v.1825/30-1905)

Un protectorat, en quelques mots, est la protection d’un État fort sur un État plus faible, autonome dans la gestion de ses affaires intérieures.


Suite à la proclamation du protectorat, Heinrich Ernst Göring devient le gouverneur et signe des traités avec les peuples locaux, y compris avec Kamaharero, le chef herero, devant lui assurer protection face aux tentatives de Witbooi de conquérir le territoire. Or, en réalité, les allemands ne peuvent pas apporter d’assistance face à Witbooi, qui mène une sorte de guérilla.

Des troupes allemandes arrivent en 1889, menées par Curt von François pour « rétablir l’ordre ». Göring touche à un lieu ancestral de sépulture herero, Kamaharero annule leur accord : inquiet pour sa sécurité, Göring quitte le protectorat en 1890. Kamaharero meurt quelques mois après, non sans avoir signer sous la contrainte un nouveau traité de protection avec Curt von François : von François avait bloqué sa voie d’approvisionnement en armes et munitions, alors que les attaques de Witbooi étaient imminentes.

Samuel Maharero (1856-1923)

Malgré avoir choisi la voie de la collaboration avec les allemands en cédant ses terres, le fils de Kamaharero, Samuel Maharero est de plus en plus déçu des « traités de protection » et se rapproche de Witbooi. Ce qui le révolte est le traitement inhumain que les allemands font aux communautés locales, notamment l’utilisation forcée des Herero pour construire le chemin de fer tout comme les violences faites à l’encontre des personnes qui tentaient de se révolter, y compris les femmes.

Le 12 avril 1893, Curt von François attaque de nuit le camp de Witbooi, qui parvient à s’échapper. Les troupes allemandes tuent 75 femmes et enfants. Witbooi ne se soumet pas. En 1894, Curt von François est remplacé par Theodor Leutwein, qui reprend le contrôle et impose les traités de protection. Samuel Maharero se rapproche de Leutwein, suivi de Witbooi suite à une énième bataille de 13jours.

De gauche à droite : Theodor Leutwein, Johannes Maharero ou Michael Tjisiseta, Ludwig Kleinschmidt (interprète d’ascendance allemande et nama), Manasse Tjisiseta et Samuel Maharero. Omaruru, 1895. © Coll. J.B. Gewald / Courtesy of National Archives of Namibia

Witbooi et Maharero se retrouvent donc alliés pour combattre les tribus dites « rebelles » : leur mission est d’étendre l’influence de Maharero et de libérer des terres et du bétail pour les céder ensuite aux allemands, tout en fournissant de la main d’oeuvre (des prisonniers et survivants) pour les allemands. Les prisonniers et survivants sont envoyés aux travaux forcés pour la construction du chemin de fer. En parallèle, les allemands font preuve de nombreux abus violents et brutaux : les viols sont extrêmement récurrents.

Sous Leutwein, deux catégories légales sont créées : les Non-indigènes et les Indigènes, basées sur la conviction qu’il existe une différence essentielle entre colons européens et africains indigènes. C’est également à cette période l’essor des zoos humains et la naissance de la théorie des races.

Des tentatives de rébellion s’organisent. Le 12 janvier 1904, les tribus Herero conduites par Samuel Maharero sabotent les voies de chemin de fer, incendient des fermes. S’en suit une brutale répression de la part du côté allemand, ainsi qu’un descriptif exagéré des agressions provient au gouvernement allemand. Le gouvernement allemand envoie le général Lothar von Trotha accompagné de 15 000 soldats pour brimer le soulèvement, von Trotha étant déterminé à en finir avec les Herero.

Lothar von Trotha (1848-1920)

Quand von Trotha arrive en août 1904, la majorité des Herero est rassemblée sur le plateau du Waterberg, dernier grand point d’eau avant le désert du Kalahari. Les troupes de Trotha encerclent le campement et à l’aube du 11 août, attaquent : ils ont pour ordre de ne pas faire de prisonnier.

Des dizaine de millier de Herero parviennent à s’échapper dans le désert :
Trotha les fait poursuivre en ayant bouclé le territoire et en ayant empoisonné les points d’eau alentours ou en en coupant l’accès. Des postes d’avant-garde réguliers sont disposés un peu partout, ayant pour consigne de ne laisser aucun Herero vivant.

Le 3 octobre 1904, von Trotha lance un ordre de destruction, déclarant que tout Herero présent sur le territoire sera abattu.

« Moi, le général des troupes allemandes, adresse cette lettre au peuple herero. Les Herero ne sont plus dorénavant des sujets allemands. Ils ont tué, volé, coupé des nez, des oreilles et d’autres parties de soldats blessés, et maintenant, du fait de leur lâcheté, ils ne se battent plus. Je dis au peuple : quiconque nous livre un Herero recevra 1 000 marks. Celui qui me livrera Samuel Maharero recevra 5 000 marks. Tous les Herero doivent quitter le pays. S’ils ne le font pas, je les y forcerai avec mes grands canons. Tout Herero découvert dans les limites du territoire allemand, armé ou désarmé, avec ou sans bétail, sera abattu. Je n’accepte aucune femme ou enfant. Ils doivent partir ou mourir. Telle est ma décision pour le peuple Herero. »

Repliés sans cesse aux confins du désert, les Herero meurent d’épuisement et de déshydratation. D’autres se rendent, sont fait prisonniers. Des massacres sur les populations civiles alimentés par la haine raciale se poursuivent par les soldats allemands. L’ordre de destruction est levé suite à l’intervention de missionnaires.

Les survivants et prisonniers sont alors dirigés en camp de concentration et contraints aux travaux forcés, notamment sur l’île de Shark Island, théâtre d’autres atrocités, sujet de notre prochain article de Rappelle moi le génocide.

Herero décharnés retrouvés dans le désert. © Coll. J-B. Gewald / Courtesy of Vereinigte Evangelische Mission Archiv, Wuppertal.DR.
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