A propos de ces œuvres sur l’Humain dans sa splendeur et son horreur

Guernica, Pablo Picasso, 3,49 m x 7,77 m, 1937

«C’est une œuvre d’art, Guernica, qui nous rappelle aujourd’hui,la tragédie du petit village basque, non pas dans les journaux du temps ni l’histoire savante des manuels. L’œuvre d’art, aujourd’hui comme autrefois, peut porter témoignage, d’une façon aveuglante et définitive, là où les autres moyens ne sont que de pauvre et fugace, ou difficile, information. »

Jean Clair, La responsabilité de l’artiste, 1997

Je me définis comme historienne de l’art, de par mon parcours universitaire, licence et master obtenus il y a quelques années suite à un travail de recherche portant sur les représentations en arts plastiques du génocide des Tutsi au Rwanda.

Ma spécialité est celle de la représentation des inhumanités ; j’entends par cela la face sombre de l’être humain comme moyen de sensibilisation à l’ambivalence humaine.
Le texte qui suit, nommé « De ces oeuvres » a été écrit il y a quelques années et est à l’origine même de mon entreprise et de Terre de mémoires. La forme brute est celle d’origine, venant au rythme de mes pensées.

Je m’interrogeai sur la délicate réception et l’analyse tout aussi fragile d’une certaine catégorie d’œuvres, paradoxalement inqualifiables, qui ont l’audace impertinente de montrer l’horreur humaine.

« De ces œuvres inqualifiables, trop choquantes, trop violentes. De ces œuvres qui osent mettre l’Homme face à lui-même, face à sa capacité à détruire lui-même comme un autre. De ces œuvres réalisées par des Hommes et des Femmes qui osent regarder l’Humain dans sa splendeur et son horreur.

Des œuvres pour sensibiliser les frères et sœurs humains, pour contribuer à éviter de nouveaux carnages entre individus et communautés.

De ces œuvres sur l’horreur humaine : l’esclavage, la domination, la guerre… Enfin le cas extrême, le génocide. De cet acte, l’art arrive à en faire quelque chose, malgré tout. Or, ces œuvres n’ont jamais été analysé, ou trop peu. Pourquoi ?

Le sujet est extrêmement tabou : L’idée de tuer, d’exterminer son propre frère uniquement parce qu’il existe paraît inconcevable.

Et pourtant seul l’humain est capable de le faire.

Cela s’est fait à différentes époques, différentes dates, différentes méthodes, avec toujours plus de victimes. Seul l’humain sait faire cela avec autant d’efficacité et d’indifférence.

Les œuvres abordant l’extrême violence, particulièrement les génocides, sont récentes pour la simple raison que le concept même de génocide défini par Raphaël Lemkin en 1945 est récent. La polémique autour du terme a toutefois touché l’art, à juste titre que la mort et l’amour, car la haine, une des clés du crime de génocide, est innée à la nature humaine. Exprimer par les arts un tel crime a été fait notamment par les écrits des rescapés ainsi que certains films. Les arts plastiques l’ont également abordé mais peu de théoriciens ont appuyé ou accompagné cette tentative de représentation de cette violence si caractéristique à travers le temps.

Peut-on catégoriser ces œuvres sur l’ambivalence, l’horreur de l’humain, créées par les arts plastiques, ces images malgré tout, comme le dit George Didi-Huberman ? Ma réflexion se penche sur le devenir. L’humain évolue, et à ce titre, l’art aussi, car issu de l’humain.

L’historien Yves Ternon définissait le XXe siècle comme siècle des génocides : le court de l’histoire lui donne raison. Cependant, des lucioles comme le nomme George Didi-Huberman dans La Survivance des lucioles persistent à briller et les coquelicots à fleurir parmi les ruines. De là, une idée émerge : Et si affronter l’horreur, oser la regarder en face dans sa plus cruelle et sincère vérité, permettait une nouvelle entente entre chacun ? Et si affronter l’horreur, c’est mettre en évidence justement ces petites lumières dans la nuit ? Voici ce pour quoi je lutte. »

C’est suite à ce texte et de nombreux déclics que j’ai souhaité me lancer, valoriser ces petites lumières dans la nuit et tenter à ma façon, de réconcilier l’Humain avec lui-même.

Je suis Anouk Bertaux, Historienne de l’art et des inhumanités, fondatrice de Terre de mémoires.

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