« Même un paysage tranquille,
Même une prairie avec des vols de corbeaux,
Même une route où passent des voitures,
des paysans, des couples,
Même un village pour vacances,
avec une foire et un clocher
Peuvent conduire tout simplement
à un camp de concentration. »
Jean Cayrol, Nuits et brouillard
Le 27 janvier est la date consacrée à la mémoire des génocides et de la prévention des crimes contre l’humanité depuis 2002. Vingt ans plus tard, il est surprenant que ces deux termes ne soient toujours pas intégrés dans le vocabulaire avec leur spécificité et trop peu étudiés dans le champ de la recherche actuelle. Pourtant, des génocides et des crimes contre l’humanité, il y en a eu, et ce, depuis les débuts de la longue histoire humaine.
Une histoire humaine gorgée de sang, mémoires lourdes et transgénérationnelles, sous une chape de plomb, brandie partout à tort et à travers à chaque crise politique pour rejeter la faute sur l’Autre, comme..les mécanismes d’un génocide.
Vingt ans plus tard de la mise en place (?) de cette journée, j’ai l’impression que la leçon du sempiternel « Plus jamais ça » demeure dans le vent. Je n’ai jamais eu à l’école une action menée en ce sens lors de cette fameuse journée.
Aurions-nous, à ce point, toujours rien retenu de tout cela ? A quand une véritable journée de réflexion et de prévention, réelle, sur les mécanismes d’un génocide, d’un crime contre l’humanité ?
Quand les rescapés de la Shoah et des autres génocides auront disparu, QUI racontera ? Il restera les images, les créations artistiques et ceux qui les racontent. Mon métier.
Il faut peut-être trouver d’autres approches, là où les mots sont devenus vains, s’appuyer sur les images et les arts face aux générations actuelles qui ne sont pas forcément à l’aise avec le verbe. S’adapter au mouvement. Il y a urgence, il y a beaucoup d’urgence et autant d’acteurs capables de les prendre en charge : je le suis.
Pour quoi ? Je vous laisse découvrir cet extrait du Livre noir de l’humanité, Encyclopédie mondiale des génocides, sous la direction Israël W. Charny.
« Il y a une raison déterminante pour laquelle nous devons étudier la Shoah et les génocides perpétrés contre d’autres peuples : notre horreur sera telle que nous serons animés du désir, mieux, de la passion, d’agir pour que de tels actes ne se reproduisent plus jamais. Malheureusement, comme l’a dit un esprit cynique, l’histoire se charge de nous enseigner tout ce que nous n’avons pas su apprendre de l’histoire.
Pourtant, si l’humanité avait eu conscience du premier génocide du siècle, celui perpétré par les Turcs ottomans contre les Arméniens, elle aurait peut-être mieux perçu les signes annonciateurs qui ont précédé le déferlement de la folie hitlérienne sur un monde pris de court.
Ceux qui ont des yeux pour voir savent reconnaître les indices avant-coureurs, qui devraient inviter à une vigilance redoublée. Quand les tyrans sont sur la défensive, que les libertés personnelles sont menacées, voilà que le danger s’annonce.
Quand un pays traverse une époque de turbulence marquée par des troubles sociaux ou économiques et par l’agitation politique, ceux qui détiennent le pouvoir sont tentés de rechercher des boucs émissaires à qui l’on fera porter la responsabilité de tous les maux. Ainsi, lorsque de tels symptômes se firent jour dans l’Allemagne des années 1930, le monde aurait pu être plus vigilant.
Si nous nous devons d’étudier la Shoah et les autres cas de génocides, c’est aussi parce que nous sommes tellement aveuglés par les avancées technologiques fulgurantes de l’humanité – conquête de l’espace, voyage vers la Lune, communications aussi rapides que l’éclair – qu’elles nous ont rendus non seulement arrogants mais présomptueux, au point que nous croyons désormais au progrès inéluctable.
La réalité est tout autre, et bien dégrisante : nos avancées technologiques n’ont pas été accompagnées par une avancée morale équivalente. Nous sommes merveilleusement intelligents, mais affligeants par notre déficience morale.
Nous consacrons des sommes indécentes à la mort et à la destruction, alors qu’une fraction infime de ces immenses budgets de la défense suffirait à s’assurer que tous les enfants de Dieu mangent à leur faim, aient de l’eau fraîche et se voient garantis une santé et une éducation dignes dans un environnement sûr.
Nous sommes capables si nous le voulons de nourrir l’entière population de la planète et au-delà ; pourtant, des enfants meurent de faim et de maladies relativement bénignes, tandis que nous constituons des stocks d’aliments pour préserver les cours. Les génocides et le souvenir de la Shoah nous rappellent notre extraordinaire capacité à faire le mal.
Il est instructif que certains des actes les plus ignobles ont été perpétrés non pas par des sauvages barbares et illettrés, mais par des êtres humains parmi les plus cultivés et les plus raffinés de la planète, et qui se disaient chrétiens. »
Monseigneur Desmond M. Tutu, archevêque émérite, Le Livre noir de l’humanité, Encyclopédie mondiale des génocides, sous la direction d’Israël W. Charny, Privat, 2001
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