Esthétique de la haine – Partie III

La série Esthétique de la haine est consacrée à la construction de la division entre les communautés humaines. La haine, ressenti si particulier, prend de multiples formes, tant dans le discours que par les images qui jouent un rôle non négligeable dans l’histoire humaine, parfois plus fort que le verbe.

Comprendre la construction de la haine permet de mieux la contrer.

Partie I, ce qu’est la haine et ses origines

Partie II, la construction des prétendues races humaines

Cette partie est consacrée à un des faits ayant eu sans doute un impact considérable dans la construction de la division entre les communautés humaines : les exhibitions et zoos humains.


Dès les débuts de l’histoire humaine, par la mise en esclavage ou encore les guerres, les déplacements d’individus dans un but d’exhibition (montrer, présenter au public) sont présents pour montrer la puissance d’un peuple par rapport à un autre. Les Égyptiens présentaient ainsi déjà des « nains-noirs » en provenance des contrées soudanaises, tandis que les Romains faisaient défiler les vaincus dénommés « Barbares » : au Moyen-Age, le difforme et la différence fascinent tant le peuple que l’aristocratie. Dans les expéditions, les navigateurs ramènent des spécimens vivants pour les cours européennes : en 1440 pour le Portugal, puis Espagne, et dans toute l’Europe. Cela se fait aussi hors Europe : dès le XVe siècle, des navigateurs chinois ramènent des Africains en Chine. Dès lors, la diversité est montrée, constituant peu à peu un référencement de toutes les nuances que l’Humain peut revêtir. Il n’est donc pas rare de voir des êtres humains atypiques dans les cours royales. De nombreux rois et reines avaient ainsi des nains par exemple au sein de leurs cours.

Karl Girardet, Louis-Philippe assiste à une danse d’indiens Iowas dans le salon de la Paix aux Tuileries, Paris, huile sur toile, 1845

La découverte d’autres continents ainsi que d’autres peuples suscitent la curiosité et l’élaboration de différentes théories, telles que celles sur l’existence des « races » humaines. Ces théories sont diffusées par des ouvrages reconnus comme des références dans les milieux scientifiques mais aussi les cours royales (voir Partie II de la série Esthétique de la haine). Jusque là limitées aux élites, un basculement s’opère véritablement avec la présentation au public de toutes ces connaissances et théories auprès du peuple avec la mise en place des expositions universelles et coloniales.

Ce n’est qu’à partir du Siècle des Lumières qu’une catégorisation va véritablement se mettre en place : en France c’est en 1799 que la Société des observateurs de l’Homme va se créer, constituant les prémices de l’anthropologie. Elle disparaît en 1804. La Société d’anthropologie de Paris prendra le relais à partir de 1859, sous la direction de Paul Broca, médecin anatomiste et anthropologue. Paul Broca contribue cependant à cette classification en soutenant un lien entre l’anatomie du crâne et l’intelligence. Selon lui, les crânes des peuples primitifs sont plus réduits en taille tout comme ceux des femmes, expliquant ainsi une prétendue infériorité vis à vis des peuples soit-disant supérieurs (les Blancs selon son point de vue).

Par le prétexte d’informer le public, les diverses expositions coloniales, universelles et internationales ont pour objectif de mettre en scène différents peuples établis en dehors des continents d’exposition.

En Angleterre et en France, le phénomène s’accentue avec l’histoire de Saartjie Bartman, de son vrai nom Sawtche, surnommée la Vénus Hottentote. Cette femme khoïsan (1788-1815) aux formes atypiques a été réduite en esclavage des sa petite enfance par des fermiers Boers en Afrique du Sud, lieu de naissance. Achetée en 1807 par Hendrick Caesar, frère de son maître, lui promet fortune et liberté en échange de son exhibition corporelle et de danse : ils partiront dès lors en Europe en association avec Alexander Dunlop qui a suggéré l’affaire à Caesar.

Dès son arrivée en septembre 1810, Saartjie est exposée dans une cage, humiliée comme un objet de foire, subissant regards, moqueries et toucher. C’est à partir de la qu’elle est surnommée « fat bum » et Vénus Hottentote.

En novembre 1810 un procès est intenté par l’African Association contre Caesar en raison de l’exploitation, exposition de façon indécente et de violation de l’acte d’abolition de la traite des esclaves de 1807. Or, Saartje déclare ne pas agir sous la contrainte, Caesar la présente comme une artiste et Dunlop réalise un contrat (sans doute faux) prétendant qu’elle recevrait une partie des recettes des spectacles (douze guinées par an). La Cour conclut à un non-lieu.

Face à la polémique, Saartjie va alors être exposée en Hollande, puis en France dès septembre 1814. C’est Henry Taylor, un autre organisateur de tournées, puis le montreur d’animaux exotiques Réaux qui l’exploitent tour à tour. Réaux fait payer 3 francs pour la voir et davantage pour la toucher dans les cabarets.

Progressivement elle devient un objet sexuel pour les soirées privées de l’aristocratie puis en prostitution et tombe dans l’alcoolisme. Ayant posée comme objet d’étude pour les scientifiques, elle meurt en novembre 1815 d’une pneumonie à Paris. Ses restes seront rendus à l’Afrique du Sud en 2002 dans un processus longtemps attendu de restitution.

L’histoire de Saartjie met en lumière ce curieux pan de la grande Histoire et ses dérives bien que Saartjie n’ait pas été montré dans les expositions publiques. C’est par le biais d’expositions ouvertes qu’un racisme populaire se diffuse.

Paul Friedrich Meyerheim, In der Tierbude (Dans la baraque aux animaux), 1894

A partir de 1850, c’est toute une industrie du spectacle qui se développe qui va perdurer jusqu’en 1958. Des réseaux de recruteurs et chefs de troupes au sein même des colonies sont élaborés en lien direct avec les managers occidentaux pour satisfaire ce nouveau commerce en pleine croissance. Cet aspect précis est encore trop peu abordé du point de vue historique et est donc relativement méconnu : l’Histoire doit être appréhendée par l’ensemble de ses aspects, y compris les plus dérangeants.

Progressivement, le public vient à se lasser de ces exhibitions qui vont basculer dans le spectacle. La dernière exhibition de grande envergure remonte à 1958 avec l’exposition universelle de Bruxelles. Un changement de regard est favorisé par l’implication des colonies ainsi que des femmes durant la Première Guerre Mondiale, que ce soit aux champs, dans les usines ou encore sur le front. Le « sauvage » devient un « bon combattant ayant contribuer à sauver la patrie contre l’ennemi allemand ». Outre cet aspect, la personne non blanche demeurera cependant « inférieure  » à la personne blanche, et ce, même encore aujourd’hui dans de trop nombreux pays.

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