Devenir à son tour rescapée


« Vous savez, je n’en veux pas au jeune qui nous a tiré dessus ce soir-là.
Je m’interroge profondément en revanche
sur les rouages qui ont fait qu’un mineur puisse tirer avec une kalachnikov en France
sans être inquiété. »


Ces réflexions sont celles que j’ai prononcé à la psy que j’ai vu, à la suite d’une fusillade dont je suis rescapée depuis janvier. Elle était surprise de mon absence de colère.

Le 26 janvier 2024 à 20h30, le véhicule de l’équipe de la médiation paloise dont je faisais partie est touchée par une balle de kalachnikov lors de tirs en direction de la voiture. La balle est entrée dans une partie de la carrosserie arrière.

Il n’y a pas eu de blessé. Nous avons déposé plainte.

« Non, disons-le :
Vous êtes rescapée d’une fusillade. »

Les mots prononcés par mon médecin me font l’effet d’une douche froide ; la balle était à 30cm de ma tête.

Je suis rescapée d’une fusillade. Historienne de l’art, spécialisée sur les inhumanités et rescapée, la boucle est bouclée.

La décision est prise par les différents partenaires finançant le service, d’arrêter ce dernier. Nous perdons notre travail, même si nous en avions fait une vocation.

Bien que j’ai des connaissances en victimologie, j’essaie de ne pas me faire d’autodiagnostic et fais appel à des spécialistes, qui m’ont aidé à aller mieux. Mon instinct de survie me pousse à rebondir, avancer. Avant la décision de fermeture, j’ai pu reprendre le service, presque comme avant.

Je sais par ailleurs que l’humain est doté d’une formidable faculté, la résilience : je le sais par mon propre vécu d’expériences antérieures, mais surtout par mes connaissances sur les génocides, en ayant rencontré des rescapés.

Et l’art est une clé : pour ne jamais céder à la violence, inspirer pour faciliter la paix.

Le but de mon entreprise a encore plus de sens désormais.