Pour ce dernier volet de Rappelle moi le génocide de l’année 2022 (live du 30juillet), je vous propose de découvrir la mémoire du génocide des Herero et Nama de nos jours à travers les commémorations et dispositifs mémoriels mis en place, ainsi que sa représentation dans les arts.
Partie I, Des prémices à 1904
Partie II, Camps de concentration et théories raciales
Partie III, La lente reconnaissance

La reconnaissance du génocide en tant que tel ne se fera officiellement qu’en 2021. Plusieurs raisons peuvent expliquer ce temps de latence.
- Tout d’abord, la disparition du Blue Book répertoriant les atrocités commises par les Allemands sur le territoire : il ne sera redécouvert qu’à l’obtention de l’indépendance (1990) lors de l’ouverture des archives en Afrique du Sud (après l’occupation allemande, l’actuelle Namibie est sous mandat britannique).
- La lutte pour l’obtention de l’indépendance (1990) : arrivée au pouvoir d’ex-guerilleros anti-sud-africains du mouvement SWAPO (South West Africa People Organization), majoritairement non herero. Leur volonté est plutôt de célébrer l’émancipation et la victoire de la guerre d’indépendance, plutôt que le génocide : davantage l’image d’une Namibie glorieuse au lieu d’évoquer les résistances multiples des peuples face à l’occupation allemande.
- Enfin, le temps de la recherche par les travaux d’historiens et ce qu’implique l’usage du terme génocide, engendrant des réparations.
Cependant, depuis les années 1920-30, la mémoire du génocide est ravivée sous la forme de rassemblement des diverses communautés, avec des codes bien précis et ce, chaque année.
Chaque communauté Herero se différencie par sa couleur de drapeau, que l’on retrouve sur les costumes traditionnels : rouge, vert ou blanc.
A Okahandja, par exemple, le rassemblement est plutôt destiné à la communauté herero du drapeau rouge. Tout commence le samedi avec le sacrifice d’un boeuf, puis le défilé en tenues traditionnelles (robes victoriennes pour les femmes et uniformes allemands pour les hommes) jusqu’à la tombe de Maharero : là bas, les gardiens du feu sacré demandent l’autorisation aux ancêtres d’entrer dans la concession et toucher la tombe du défunt chef. Puis, l’ensemble du groupe se rend sur les tombes des autres chefs.

Après la visite aux ancêtres vient une prise de parole des chefs traditionnels et représentants des différentes organisations ayant préparé le rassemblement. Ces discours tendent à faire l’état (moral, économique, politique) de la situation herero au niveau national, afin de contrer la monopolisation du récit de la lutte nationaliste par la SWAPO, parti encore au pouvoir.
Les commémorations annuelles rappellent les actions de toutes les communautés ayant été victimes du génocide selon la maxime suivante :
« Le tout n’est fort que par la force des parties ».

Depuis l’arrivée au pouvoir du parti SWAPO en 1990, les autres communautés sont délaissées. La mémoire de la lutte pour l’indépendance est mise en avant, au détriment de la mémoire du génocide. De plus les autres communautés ne s’estiment pas suffisamment reconnues en tant que victimes du génocide.
Hormis l’indemnisation proposée par l’Allemagne et la restitution des os humains, rien de plus n’est fait pour faire vivre cette mémoire.
En Namibie, tout porte la trace de l’occupation allemande : le nom des villes, des bâtiments, rues… Shark Island est devenu un camping, les autres camps de concentration ne sont pas suffisamment rendus visibles. Il existe toutefois quelques stèles mais peu valorisées.
Ci-contre : Pierre érigée en mémoire des Herero morts dans le camp de concentration de Swakopmund, Memorial Park Cemetery 2014. Le monument, inauguré par les chefs Herero Kuaima Riruako et Christian Zeraua en 2007, est situé à la limite de la localité de Swakopmund, sur le site des tombes de victimes non signalées jusqu’alors. © Jeremiah J. Garsha.
La mémoire du génocide et des résistances va alors se manifester non seulement par ces rassemblements annuels mais aussi par la tenue féminine.

Cette robe imposante est une tenue composée de sept jupons, imposée par les colons allemands. Une robe massive, au corsage serré et caractérisée par une coiffe originale, en forme de cornes de vache. Les hommes quant à eux, revêtent l’uniforme allemand lors des rassemblements.
« Dans le contexte africain, le chasseur revêt la peau de la bête qu’il a tué. De même, le soldat s’empare de l’uniforme ennemi. C’est une preuve de sa victoire. Après le génocide, l’uniforme et la robe sont devenus notre identité. »
Ester Muijangue, présidente de la Ovaherero/Ovambanderu Genocide Foundation
C’est ce vêtement précis
qui a attiré l’œil de plusieurs artistes,
dont Charles Fréger et Nicola Brandt.
Charles Fréger est un photographe français, dont la démarche s’articule sur l’hybridation des cultures à travers le port de l’uniforme et du vêtement. Parcourant le monde, que ce soit les usines françaises, les carnavals en Amérique du Sud ou dans les pays de l’Est, ou encore au Japon avec les festivités liées aux Yokai, Charles Fréger interroge nos relations entre identités et traditions ainsi que leur évolution dans le temps.
Il réalise la série Herero en 2007, fondamentale dans son approche, lui permettant d’explorer l’uniforme comme hybridation culturelle.
Découvrez la série intégrale Herero de Charles Fréger ici.
Quant à Nicola Brandt, son histoire est intimement liée à la Namibie.
Née en Namibie dans une famille allemande, elle s’interroge sur la présence et l’absence des passés de ce territoire : les traces du génocide, celles de la colonisation.. Comment sont-elles imbriquées dans l’espace public ?
Nicola Brandt réalise différentes séries, mêlant vidéo et photographie, à laquelle elle ajoute de la performance.
Un de ses premiers projets sur ces deux mémoires liées, est la série Reiterdenkmal, le nom allemand du monument équestre à la gloire de la colonisation allemande, retiré en 2009 puis déplacé dans un endroit moins public en 2013.
Ci dessous, Katuvangua Maendo, de dos, fixe le monument équestre situé à son second emplacement avant de prendre place dans l’arrière cour de la forteresse et musée Alte Feste.

La série The Earth Inside met en évidence les relations ambiguës entre passé et présent, par les lieux impliqués dans le génocide et la vie actuelle. Ci dessous, une résidence à proximité immédiate d’ossements humains non encore identifiés.

A private residence in Riverside Road, Swakopmund, built directly next to unidentified graves of Herero and Nama prisoners-of-war who died during the German-Namibian War and Genocide (1904-1908).
Enfin, par sa propre quête identitaire, elle travaille autour de l’héritage colonial de la féminité blanche en utilisant la performance, Legacies of Whiteness,réalisée en 2012.

C’est par le travail des artistes que l’ensemble de la communauté humaine est sensibilisée au pire de ce que l’Humanité peut faire.
Les arts au delà du discours politique, mettent en tension les contradictions du verbe et la réalité du terrain, permettant de recréer du lien là où il a disparu.
Les mémoriaux en Namibie sont malheureusement rares, étouffés par une politique axé sur l’indépendance. La restitution des ossements par l’Allemagne a été certes un premier pas, bien que limité. Les diverses communautés attendent non seulement la restitution totale tout comme d’autres choses.
La réparation demeure toujours incomplète dans le cas d’un génocide.
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